New York, 11 janvier 1842. Un bébé du nom de William James voit le jour.
Lâexpression âvoir le jourâ est incroyablement ironique puisque le petit William est nĂ© temporairement aveugle pour ensuite conserver de sĂ©vĂšres troubles de vision tout au long de sa vie.
MĂȘme sâil est nĂ© dans une famille influente, riche et respectĂ©e par lâĂ©lite new-yorkaise, William est loin dâĂȘtre chanceux. Il a des problĂšmes de peau, un trouble dâestomac qui le fait constamment vomir, des problĂšmes dâouĂŻe et des spasmes de dos si intenses que ça lui arrive de ne pas pouvoir sâasseoir ou se tenir droit pendant des jours.
Ă cause de sa santĂ© fragile, le petit William passe la majoritĂ© de son temps Ă la maison. Il nâa pas beaucoup dâamis et nâest pas particuliĂšrement bon Ă lâĂ©cole. Il meuble plutĂŽt ses journĂ©es Ă peindre, la seule chose quâil aime faire. Malheureusement pour lui, personne ne le trouve vraiment talentueux et, une fois adulte, personne nâachĂšte ses oeuvres.
Pendant ce temps, son petit frĂšre (Henry James) et sa soeur (Alice James) sont occupĂ©s Ă devenir des Ă©crivains reconnus Ă travers le monde. Incroyablement déçu de William, son pĂšre lâintimide constamment en le traitant de lĂąche ou de bon Ă rien. Il est le mouton noir, lâĂ©chec de la famille.
Dans un dernier espoir de rĂ©demption, son pĂšre utilise ses connexions pour faire admettre son fils Ă Harvard Medical School. Malheureusement pour celui-ci, la mĂ©decine nâest vraiment pas quelque chose qui lâintĂ©resse. Sur le campus et dans ses cours, entourĂ© de lâĂ©lite, William se sent inadĂ©quat â comme un imposteur.
AprĂšs seulement un an, William quitte Harvard. Pour Ă©viter dâavoir Ă dealer avec la rage de son pĂšre, il sâenrĂŽle dans une expĂ©dition anthropologique Ă travers la forĂȘt amazonienne.
Il faut dire quâen 1860, les voyages intercontinentaux Ă©taient excessivement pĂ©rilleux â rien Ă voir avec la mode des jeunes qui partent dĂ©couvrir le monde en back pack, armĂ©s dâun selfie stick et dâun compte Instagram.
AprĂšs 6 mois et un intense mal de mer, William rĂ©ussit Ă se rendre jusquâau coeur de la forĂȘt amazonienne. Une fois sur place, la balade en forĂȘt tourne au cauchemar. Non seulement il contracte la petite vĂ©role, mais ses spasmes de dos ressurgissent, le rendant incapable de marcher.
William se retrouve seul au beau milieu de lâAmĂ©rique du Sud, abandonnĂ© par son groupe dâexpĂ©dition. Pour revenir Ă la maison, il doit entreprendre un voyage qui va prendre plusieurs mois et trĂšs probablement le tuer.
Contre ses propres attentes, il rĂ©ussit Ă retourner en Angleterre, oĂč il est accueilli par un pĂšre encore plus dĂ©couragĂ©. William, maintenant ĂągĂ© de 30 ans, est un Ă©chec lamentable â il a Ă©chouĂ© littĂ©ralement tout ce quâil a entrepris jusquâĂ ce point. Tout ça malgrĂ© le fait quâil est nĂ© dans une des meilleures familles du pays. Les seules constantes dans sa vie sont la souffrance et lâĂ©chec.
Un soir, alors quâil lisait les Ă©crits de Charles Peirce, il dĂ©cide de dĂ©buter une petite expĂ©rience... Pendant un an, il allait assumer et croire de toutes ses forces que tout ce qui lui est arrivĂ© dans sa vie Ă©tait de sa faute â quâil est le seul responsable de son triste sort. Pendant un an, il allait tout faire pour amĂ©liorer ou changer ses circonstances pour le mieux. Sâil en venait Ă Ă©chouer, cela voudrait donc dire quâil Ă©tait rĂ©ellement une victime impuissante du mauvais hasard et que rien quâil puisse faire nâallait changer quoi que ce soit. Si tel Ă©tait le cas, la seule option logique serait de sâenlever la vie, chose quâil sâest engagĂ© Ă faire.
Ce qui est drĂŽle dans cette triste histoire, câest que William James est aujourdâhui reconnu comme Ă©tant le pĂšre de la psychologie amĂ©ricaine moderne. Son travail a Ă©tĂ© traduit dans des centaines de langues et il est un des auteurs les plus citĂ©s dans ce domaine. Ce ratĂ© total est devenu un des intellectuels/psychologue/philosophe les plus influents de notre temps. William nous confie dans son journal quâil sâest senti renaĂźtre Ă travers sa âpetite expĂ©rienceâ et lui attribue TOUT ce quâil a accompli plus tard dans sa vie.
On ne contrĂŽle pas toujours ce qui nous arrive, mais on contrĂŽle TOUJOURS comment on y rĂ©agit. Quâon le rĂ©alise ou pas, on est tous responsables de notre expĂ©rience de vie.